Le cerveau humain est un des systèmes les plus complexes qui existe. Essayer de le comprendre est le challenge des neurosciences. Ces dernières années, les neurosciences ont connu une croissance exponentielle, offrant une appréhension de plus en plus précise des comportements humains. Les découvertes de cette discipline permettent de mieux comprendre la façon dont le cerveau traite l'information. Les entreprises s'en emparent pour améliorer la gestion de l'humain et donc de la productivité.
« Il s'agit d'adapter le monde du travail au fonctionnement cérébral plutôt que l'inverse », affirme Pierre-Marie Lledo, directeur du département de neurosciences de l'Institut Pasteur.
Qu'est ce que les neurosciences?
Définition des neurosciences
Les neurosciences sont une discipline scientifique étudiant le système nerveux - le cerveau, la moelle épinière, les nerfs -. Le champ de la recherche est pluridisciplinaire : neurobiologie, neurochimie, neurohistologie, neuroanatomie, neuropharmacologie, neuropsychologie, neurolinguistique, neuropathologie, neurologie, psychiatrie, neuroendocrinologie, neurochirurgie.
La brève histoire des neurosciences
À la fin du 19e siècle, un biologiste reconnaît l'existence des neurones, unités de base du système nerveux. Ainsi commence le développement des neurosciences.
Le terme de neurosciences n'est apparu que dans les années 60 et faisait référence à des connaissances pluridisciplinaires du cerveau et du système nerveux, de la pensée et du comportement.
C'est principalement grâce aux avancées en matière d'imagerie cérébrale que la recherche en neurosciences a connu un si grand essor ces dernières années avec des projets de grande envergure :
- le projet Blue Brain 2002 : créer une simulation du cerveau des mammifères au niveau moléculaire pour étudier sa structure. Des pays du monde entier se sont joints à ce projet passionnant,
- le projet Brain Activity Map Projet 2013 lancé par Barack Obama : développer une carte détaillée et dynamique du cerveau,
- le projet human brain en Europe 2013 : faire un saut qualitatif par rapport à tout ce que l'on sait déjà du cerveau.
Ce développement fulgurant nous laisse présager que la partie la plus intéressante de l'histoire des neurosciences est encore devant nous.
Les découvertes des neurosciences
Voici quelques-unes des dernières recherches en neurosciences utilisables dans le monde du travail :
- La plasticité cérébrale : le cerveau a une formidable capacité à s'adapter aux nouveaux environnements.
- Les neurones miroirs : neurones de l'empathie et de l'imitation, les neurones miroirs sont des cellules nerveuses qui s'activent quand nous effectuons une action mais aussi quand nous observons cette action chez un autre individu. Ces neurones jouent un rôle essentiel dans la compréhension, l'empathie et l'apprentissage par imitation.
- L'intelligence artificielle : les neurosciences ont joué un rôle majeur dans le développement de l'intelligence artificielle (IA) : utilisation de modèles de réseaux neuronaux pour améliorer la reconnaissance de la parole, la vision par ordinateur…voir article sur l'intelligence artificielle en médecine .
Ces dernières découvertes ont permis de faire de grandes avancées dans la compréhension du cerveau humain et de ses liens avec le comportement. Cette connaissance ouvre de nouvelles perspectives pour les entreprises qui cherchent à améliorer leur fonctionnement et leur performance.
Champs d'application dans le travail
Les entreprises ont désormais compris que pour tout ce qui touche à l'humain et ses comportements, ses relations, ses réactions au stress, elles doivent se tourner vers les neurosciences. Comprendre et appréhender comment le cerveau des employés fonctionne peut permettre d'améliorer l'organisation, le management, la motivation et donc l'efficacité et la rentabilité.
Adapter le management au fonctionnement du cerveau : le neuroleadership
Les neurosciences nous aident à appréhender comment chacun fonctionne de façon individuelle mais aussi en interaction avec les autres. Les managers travaillent 80% de leur temps sur l'humain, en somme, 80% de leur temps est utilisé à gérer des cerveaux ! Il est donc impératif pour eux de connaître les mécanismes du cerveau afin d'avoir les meilleurs outils pour optimiser les talents…
David Rock, neuroscientifique américain a donné naissance à ce concept en 2006, concept développé par le neurologue Philippe Damier et l'enseignant James Teboul. Ils soulignent quelques-unes des erreurs de management mises en lumière par les nouvelles connaissances en neurosciences :
- rien ne sert par exemple de noyer son équipe sous une somme d'arguments clefs car leur mémoire n'en retiendra que trois.
- créer trop de compétition met le système cérébral en état d'alerte. Il commande alors la sécrétion d'hormones comme le cortisol pour préparer l'organisme à se défendre.
Voici quelques exemples de messages à faire passer aux manager :
- "le cerveau se détruit par la routine et se nourrit du changement",
- "rien ne sert de motiver, il faut faire confiance aux gens",
- "n'attendez pas de grande créativité dans des processus automatiques, accordez de vraies pauses déconnectées. Ce sont des moments précieux de vagabondage intellectuel et d'ébullition qui font émerger des idées créatrices".
Le manager peut aussi intégrer la communication non violente, l'intelligence émotionnelle et le feedback positif à ses outils de gestion d'équipe.
On peut alors façonner des « managers neuro-amicaux » capables d'organiser leur travail et celui de leur équipe pour réduire le stress et stimuler leur créativité.
Améliorer le processus de recrutement
Nous savons grâce aux neurosciences que nous avons des biais cognitifs avec beaucoup d'impact lors du recrutement : “Il a fait HEC, il est forcément bon”, “Il est arrivé en retard, il n'est pas sérieux”...
Le cerveau est économe et face à beaucoup d'informations ne retient que ce qui lui semble lui est connu ou ce qui lui semble utile. Pour cela, il sollicite :
- les biais de confirmation (on ne retient que ce qui confirme nos expériences),
- les biais d'ancrage (on ne retient que sa première impression malgré les explications)
- les biais de disponibilité (on ne retient que les informations les plus récentes ou surprenantes).
Le meilleur moyen de contrecarrer ces biais est d'utiliser très souvent des nouvelles informations :
- en multipliant les tests qui sont de formidables outils de mémorisation,
- en alternant dans les modes d'apprentissage : théorie et pratique.
- en validant régulièrement ses connaissances au travers de quiz pour corriger au fur et à mesure ses erreurs et ancrer plus profondément ses acquis.
Optimiser la formation
Les formateurs peuvent utiliser les résultats des neurosciences pour concevoir des formations efficaces et stimulantes :
- le cerveau connaît une baisse de régime toutes les 10 à 20 minutes, nous avons une baisse de l'attention à ce moment-là. Il est donc préférable de baser la formation sur une succession de temps théoriques, pratiques et/ou de discussion,
- nous sommes plus efficaces quand notre cerveau est engagé dans des tâches comme les résolutions de problèmes,
- les jeux de rôles sont plus efficaces que les formations traditionnelles.
«Les neurosciences vont révolutionner l'apprentissage en offrant des interfaces personnalisées tenant compte de l'état émotionnel de l'utilisateur pour tirer le meilleur parti de ses moments d'attention », décrit Alexander Lingg, responsable de Sap User Experience.
Qualité de vie au travail : activez les bons circuits neurologiques
D'après une étude d'OpinionWay de 2018, un employé heureux permet d'augmenter la productivité de 12 %. Et là encore les neurosciences ont un rôle intéressant.
On sait que notre cerveau a une préférence pour les sentiments positifs. Par le biais des neurones miroirs, cela peut provoquer des contagions émotionnelles. Ainsi, une personnalité positive, souriante, agréable, dynamique, gaie va inspirer les cerveaux alentours.
Un autre levier découvert par les chercheurs peut être utilisé : la reconnaissance. « Elle active les circuits neurologiques de la récompense sur lesquels reposent la motivation, la confiance et la cohésion sociale », estime Olivier Oullier, président de la société Emotiv. La reconnaissance est activée par un environnement neuro-bienveillant, par une culture d'entreprise où l'on se sent libre de s'exprimer et d'agir.
Enfin, on sait que la lumière naturelle est un élément important de bureau de qualité.
La gestion du stress
Le stress au travail est un fléau. Ses effets sont néfastes sur la santé mentale et physique, la productivité et la motivation.
Les dernières recherches en neurosciences nous permettent de mieux comprendre les effets du stress sur le cerveau et, ainsi, nous permettent d'aiguiller les entreprises pour aider leurs employés à gérer leur stress :
- utiliser la méditation et la respiration profonde
- réduire les sources de stress avec des espaces de détente
- favoriser la communication et le soutien entre les employés.
Comprendre la prise de décision
L'une des découvertes les plus importantes des neurosciences est que la prise de décision est un processus complexe engageant plusieurs régions du cerveau. Les recherches nous exposent qu'une décision prise sous le stress ou la fatigue peut être biaisée et induire des erreurs.
La neuroéconomie - branche qui étudie l'influence des facteurs cognitifs et émotionnels dans les prises de décisions - permet de concevoir des stratégies pour des prises de décisions efficaces :
- pauses régulières
- prise de décision en équipe pour réduire les biais individuels
Les entreprises peuvent aussi utiliser ces connaissances pour développer des stratégies de marketing plus efficaces basées sur la compréhension des prises de décisions d'achat des consommateurs.
Améliorer la productivité
En comprenant comment le cerveau traite les informations, on peut améliorer de façon considérable la productivité. Par exemple, les résultats des recherches montrent que l'on est plus productif lorsque nous travaillons sur une tâche à la fois, plutôt que de passer d'une tâche à l'autre : quand on change de tâche, le cerveau doit alors se réadapter et cela prend du temps et des ressources cognitives.
Également, les recherches nous apprennent que le sommeil est crucial pour la productivité au travail : les personnes avec un bon sommeil sont plus alertes, plus créatives et plus efficaces. Un manager peut ainsi utiliser ces informations pour encourager des heures de travail plus raisonnables, le sommeil chez les employés, avec des horaires de travail flexibles et des pauses régulières.
Emergence de la Braintech ou “business du cerveau”
La braintech, nouvelle vague technologique se base sur des recherches fondamentales en neurosciences pour créer des technologies qui permettront demain à nos cerveaux d'être plus efficaces. Très prometteuse, elle peut aussi faire froid dans le dos…
Voici quelques exemples de produits issus d'entreprise de la braintech :
- le bandeau de nuit - société Dreem - étudie en direct le comportement de notre cerveau pendant notre sommeil et améliore le repos via la diffusion d'un “bruit rose” par conduction osseuse.
- le casque EEG (électroencéphalographe) de Mélomind : diffuse des musiques adéquates pour favoriser la relaxation et diminuer le stress. Cette technologie est basée sur le neurofeedback qui utilise les résultats d'analyses cérébrales pour y appliquer des modifications. la création de Neuralink en 2016 par Elon Musk qui espère connecter des solutions d'intelligence artificielle à notre cerveau pour développer nos capacités mentales. Une perspective quelque peu effrayante, mais qui pourrait marquer le début d'une nouvelle ère cérébrale.
- les solutions d'intelligence artificielle de la société Emotiv : surveiller l'activité cérébrale d'une personne afin de lui envoyer un message quand son stress augmente, ou quand son attention baisse : « Voulez-vous un peu d'aide ? Vous feriez bien de prendre une pause ! »
Les neurosciences deviennent un domaine de recherche incontournable. Leur avenir dans le monde du travail est prometteur, car elles offrent la possibilité de mieux comprendre les processus cognitifs et émotionnels des employés. L'humain étant au cœur de chaque entreprise, leur succès n'est pas étonnant !